Le 16 juin, je suis intervenu à Agile France 2016 pendant 100 minutes sur une présentation intitulée Libérez vos talents.

Je reviens dans ce billet sur la contribution reçue de la part d'Aurélie VACHE et Stéphanie HERTRICH pour l'association Duchess France.

Présentations

Eric -

A quel constat vient répondre #AdoptADuchess ?

Aurélie & Stéphanie -

Encourager les femmes à aller vers les métiers techniques, c'est bien. Faire en sorte qu'elles s'y sentent bien, les aider à développer leurs compétences efficacement et leur permettre d'élargir leur réseau, c'est encore mieux !

Eric -

Pouvez-vous nous rappeler quand le programme a été officiellement lancé ?

Aurélie & Stéphanie -

Le lancement a eu lieu il y a un peu plus d'un an, le 14 décembre 2015.

Eric -

Aviez-vous identifié des démarches similaires dans l'IT ou en dehors avant de vous lancer ?

Aurélie & Stéphanie -

Il y a des initiatives de mentoring un peu partout (startups, corporate, ...), mais pas spécifiquement pour les femmes dans l'informatique (au sens technique du terme !).

Eric -

Quel a été le point de départ de cette démarche ?

Aurélie & Stéphanie -

Chez Duchess France nous essayons de proposer des initiatives très opérationnelles permettant d'aider notre communauté de manière concrète : ateliers de préparation aux CFP, hands-on, rédaction d'articles techniques, prises de parole dans les tables rondes et évènements, etc.

Cette fois nous avons eu envie de toucher les femmes plus en amont dans leur carrière, là où le bât blesse, c'est à dire les premières années où elles sont confrontées au milieu informatique (études, premier job, etc.) et se retrouvent souvent isolées. Le taux d'échec des femmes durant la première année d'études est important, et la chute d'une personne peut en entraîner une autre ne serait-ce par identification : “elle n'y arrive pas, c'est peut-être que moi non plus en tant que femme je ne suis pas faite pour ça”.

Les femmes sont aussi souvent mises à l'écart durant ces premières années (on ne côtoie pas les faibles ou ceux qui ont la réputation de l'être sous peine d'être vu comme tel), on vous regarde avec un sourire en coin... Ce n’est pas forcément conscient mais c'est parfois vécu comme humiliant pour un jeune garçon d'être “moins bon” codeur qu'une fille donc ils n'ont pas intérêt à les voir réussir.

C'est un tableau un peu noir que nous traçons ici et il faut préciser que les choses s'améliorent nettement au fil des années, la maturité aidant (heureusement ! :)) mais c'est pourtant ce que nous avons presque toutes vécu - de manière plus ou moins flagrante - et ce que nous racontent les jeunes filles que nous rencontrons encore aujourd'hui (par exemple à la Web@cademie qui prévoit de faire une promo majoritairement féminine pour ces raisons).

A Simplon MidiPyrénées, lors de la promo #1, deux femmes et un homme ont abandonné en cours d'année, sur une vingtaine d'apprenants. Durant la promo #2 j'espère (Aurélie est marraine de cette promotion) que le nombre d'abandon sera moins élevé, tout particulièrement pour les femmes.

Eric -

Qu'apporte alors la marraine face à ce constat ?

Aurélie & Stéphanie -

Avoir une marraine et/ou un réseau de femmes qui ont connu ces situations, auquel on peut se raccrocher peut être salvateur. La démarche va bien sûr beaucoup plus loin : le marrainage permet aussi d'aider dans le cas d'une reconversion, ou tout simplement pour rencontrer d'autres personnes qui vivent les mêmes situations personnelles et professionnelles, découvrir de nouvelles technologies, être conseillée sur la montée en compétence, etc.

On peut d'ailleurs imaginer du marrainage entre profils seniors pour bénéficier d'un regard extérieur sur sa situation, ce qui peut aider à progresser à tous les niveaux. D'ailleurs c'est ce que l'on pratique de manière inconsciente dans la team Duchess, via Slack.

Eric -

Quels sont les objectifs ?

Aurélie & Stéphanie -

Le marrainage #AdoptADuchess est une forme de mentoring très concrète dont le but est :

  • d'aider les femmes à se sentir bien dans leur poste technique et favoriser leur épanouissement professionnel
  • de permettre aux filleules de communiquer en direct et de manière récurrente avec une femme travaillant dans le même environnement
  • d'échanger avec des femmes qui sont passées par les mêmes étapes clés dans leur vie professionnelle mais aussi personnelle !
  • d'être encouragée et tirée vers le haut dans les périodes difficiles
  • de bénéficier de conseils plus opérationnels pour monter en compétence et gagner en efficacité dans leur travail (ex.: comment faire de la veille, où chercher l’information, comment se former à une nouvelle techno, ...)
  • de découvrir d'autres métiers et spécialités techniques par le biais des autres filleules et marraines
  • d'élargir son réseau professionnel

Entraide et réseau : la démarche par l'exemple

Eric -

Concrètement #AdoptADuchess c'est quoi aujourd'hui ? Juste la mise en relation entre deux personnes ou un cadre plus large (rencontres de groupe, outils, etc.).

Aurélie & Stéphanie -

C'est bien plus qu'une mise en relation de deux personnes. Nous avons créé une communauté via groupe Facebook et tout récemment un Slack dans lequel les marraines et les filleules peuvent échanger. Le but est d'en faire une communauté d'entraide active, cross marraines/filleules. Une filleule a une marraine officielle mais elle peut être en contact avec d'autres personnes du groupe, aussi bien marraine que filleule.

Eric -

Comment décrivez vous chacune les activités de mentorat associée au rôle de marraine (de par votre propre expérience) ?

Aurélie -

De par mon expérience, chaque binôme filleule/marraine est différent. Avec une filleule on va avoir plus d'échanges qu'avec une autre, on va être plus présente, devoir faire intervenir son réseau, débloquer des situations, etc.

Stéphanie -

C'est une démarche très libre, aussi bien pour la marraine que pour la filleule : chaque binôme va décider de son fonctionnement. A certaines périodes les échanges seront très rapprochés, à d'autres moins car le besoin est moindre. Certains binômes se forment sur la base d'une région géographique commune, d'autres par-rapport à une techno ou une expérience ou juste du feeling ! Aussi, plus le programme avance, plus je crois à la vertu de la communauté en tant que groupe qui “mentore” versus le binôme. On peut ainsi bénéficier des conseils de toutes plutôt que de la seule marraine même si celle-ci restera un contact privilégié. On est toujours meilleurs à plusieurs que tout seul ! :)

Eric -

Pouvez-vous partager quelques réussite individuelles concrètes obtenues par l'intermédiaire de cette démarche (les identités ont pu être changées) ?

Aurélie -

J'ai pu permettre à une de mes filleules de trouver un stage dans une startup. Ce n'est pas grand chose pour moi mais cela a rendu Eloïse très contente et elle fait tout pour se former au Javascript et à AngularJS/React avant d'entamer son stage. Elle est très motivée.

Stéphanie -

Maëlle a eu quelques difficultés au cours de sa 3ème année de formation d'ingénieur. Via le réseau des marraines, une ancienne élève ingénieure issue de cette école (Agnès) a pu appeler directement la scolarité pour comprendre d'où venait le problème et aider Maëlle a corriger le tir.

Il y a beaucoup de demandes de conseil sur les domaines de spécialisation de nos métiers : pur dev, BI, intégration, design, data, etc. Les marraines ont souvent du recul sur la diversité des métiers versus une formation généraliste où on apprend l'algo, les bases de données relationnelles, etc., sans forcément imaginer les spécialités qui existent une fois dans le métier.

Aurélie -

Je pense également à Alexa qui est marrainée par Célia et dont je cite le témoignage.

"De mon côté, c'est mon chef de département qui m'a fait connaître ce système de marrainage. J'y ai vu l'opportunité de m'engager à mon niveau pour l'égalité des genres et la diversité dans le monde de l'informatique, mais aussi d'apprendre, de me construire un réseau, et de partager mes idées et ma curiosité."

Eric -

En tant que marraines, avez-vous au cours de votre expérience professionnelle eu l'opportunité d'être mentorée ? Eprouvez-vous ce besoin d'être vous même marrainée tout en étant vous même marraine ?

Aurélie -

Non, je n'ai jamais été mentorée alors que j'aurai bien voulu. Nous avons une filleule qui est également marraine et je trouve que c'est tout à fait normal. On peut être plus à l'aise dans un domaine et beaucoup moins dans un autre.

Stéphanie -

Non, mais je pense justement que je vais me chercher une marraine :) Cela ne peut être que bénéfique d'avoir un regard extérieur sur sa situation et ça peut donner de très bonnes idées !

Bilan et projections

Eric -

La démarche a donc un peu plus d'un an, l'heure d'un petit bilan justement ?

Aurélie & Stéphanie -

Nous dénombrons déjà plus de 30 marraines et 90 filleules inscrites au programme. Une communauté d'entraide commence à se former petit à petit, et nous recherchons des marraines pour arriver à satisfaire toutes les demandes de marrainage.

Eric -

Sur les 30+ marraines et 90 filleules actuelles, combien n'étaient pas en contact avec la communauté Duchess France avant ?

Aurélie -

Environ 80% des marraines et 90% des filleules n'étaient pas en contact avec Duchess France.

Les filleules ont connu le dispositif/l'initiative principalement via le bouche à oreille, la team Duchess (notamment lors de nos interventions dans les conférences) et Twitter.

Eric -

Les femmes trouvent-elles dans AdoptADuchess quelque chose qui ne leur est pas proposé par leur employeur ?

Aurélie & Stéphanie -

En poste, les femmes sont souvent isolées tout simplement parce qu'elles sont peu représentées dans le métier. #AdoptADuchess leur permet d'élargir leur réseau et d'échanger avec d'autres femmes qui vivent des situations similaires aussi bien pro que perso (changement de techno, grossesse, retour au travail, veille, salaire, vie dans les équipes, être meilleur dans son job…). On adore bosser avec des garçons ! Mais c'est bien de pouvoir parfois discuter avec des filles de temps en temps et échanger sur leur manière de vivre leur métier et les challenges qui vont avec.

Eric -

Le marrainage est-il une démarche individuelle ou est-il envisageable que des sociétés s'associent à Duchess France pour soutenir la démarche ?

Aurélie & Stéphanie -

Le marrainage est tout jeune et donc très perfectible, il y a plein de points d'amélioration envisageables et toutes les idées sont les bienvenues car on veut faire progresser l'initiative et être encore plus efficace, toucher plus de monde.

Eric -

Avez-vous des idées pour faire évoluer #AdoptADuchess à l'avenir ?

Aurélie & Stéphanie -

Nous sommes en train de réfléchir à un mini site qui permettrait de consulter rapidement et simplement les fiches des marraines et des filleules. Ce mini site contiendrait également une carte de France permettant de géolocaliser les marraines et les filleules et les contacter rapidement et simplement.

Nous avons également mis en place une team Slack ayant pour but de dynamiser notre communauté, de favoriser l'échange et l'entraide. Nous espérons que tout cela augmentera le nombre de binômes marraine/filleule.

Leçon(s)

La démarche de mentorat est une démarche de pair à pair entre des personnes partageant un même secteur d'activité ou métier. Elle se décline le plus souvent avec un différentiel d'expérience représentant la valeur ajoutée attendue par le mentoré, mais il n'est pas inintéressant de mettre en place un mentorat indépendant de l'expérience pour permettre aux plus seniors de prendre du recul sur leur quotidien au contact d'un autre senior dans le métier. Enfin, des cas de reverse-mentoring (sous l'angle du différentiel d'expérience) peuvent également avoir de la valeur pour faire face aux changements amenés par l'évolution de la société et profiter de la sensibilité plus accrue des jeunes générations pour transmettre / guider dans l'appropriation et adaptation au changement.

Le mentorat repose sur une bienveillance du mentor qui s'implique dans une relation de façon bénévole et met à disposition son expérience et son réseau pour permettre au mentoré de grandir. Cette implication désintéressée de tout gain financier est primordiale pour que la neutralité et l'indépendance de la posture puissent se mettre en place et favoriser l'apport attendu par le mentoré. Il parait de ce fait plus aisé de tenir le rôle de mentor quand aucun enjeu majeur ne risque de biaiser la relation, enjeux qu'on risque malheureusement de retrouver en entreprise quand bien même la relation de mentorat n'incluerait pas de lien hiérarchique dans le binôme.
En effet, la relation peut par moment nécessiter une véritable discrétion voire une déontologie de la part du mentor.

Le mentorat n'est en aucun cas à confondre avec le coaching car, si pour ce dernier des enjeux financiers peuvent souvent exister, le coach n'a pas du tout la même posture de conseil et d'aide. En effet, ce dernier aura pour priorité d'aider l'individu à réfléchir pour matérialiser ses problèmes et trouver lui même les solutions et actions à entreprendre.

Au niveau de l'offre publique de mentorat on trouve actuellement majoritairement des réseaux pour entrepreneurs / chefs d'entreprise / responsables, et très peu de réseaux de type communautaires telle la démarche #AdoptADuchess.

On trouve également la démarche de mentorat au niveau des études supérieures avec l'optique d'accompagnement de l'étudiant dans son orientation et ses premiers pas professionnels. On peut notamment citer les universités suisses qui sont nombreuses à proposer un tel programme. La France n'est pas en reste puisqu'on retrouve un programme de mentorat à l'ESSEC ainsi que des démarches de ce type auprès de plusieurs associations d'anciens élèves / alumni (exemple avec Grenoble INP ou Centrale Lille auquel je prends part).

En entreprise, la démarche de mentorat existe mais n'est sans doute pas assez encadrée de manière à ne pas se confondre avec un lien de management (si vous avez des témoignages à me partager, rendez vous en fin d'article).

Les plateformes de mentorat commencent à arriver, mais ce sont visiblement majoritairement des plateformes commerciales dont le but est d'accompagner la démarche de déploiement dans les entreprises.
Au Canada, Academos permet la mise en relation entre étudiants et professionnels.
En France, on trouve notamment la plateforme MonMentor qui permet une mise en relation Mentee / Mentor mais qui monétise la démarche, ce qui va à l'encontre de la philosophie bénévole du mentorat (la relation est supposée désintéressée pour le mentor afin que les bénéfices soient assurés). On trouve même des sites qui surfent sur le terme mentor pour vendre leur service de formation individualisée.

De communautés ou plateformes permettant à des individus d'établir des liens de mentorat, il ne me semble pas en exister dans le secteur du développement logiciel. Voilà de quoi faire pour ceux qui chercheraient un sujet et auraient du temps à y consacrer.

Vous avez des initiatives / histoires à partager sur le thème de la libération des talents, voire d'actions autour du mentorat ? Je vous invite à échanger sur le sujet avec moi.