Le freelancing et l'optimisation de son IR

Pour beaucoup, le freelancing est synonyme de liberté. Pour ma part, j'y vois plusieurs formes de libertés et celle qui est la plus mise en avant est évidemment la liberté de choisir (quand le marché est favorable) ses clients et ses modalités de travail.

Préambule

Parmi les autre formes de libertés j'aimerai faire un focus sur la liberté dans sa rémunération. C'est souvent oublié, mais comme toute liberté cela vient avec des responsabilités : le freelance (sans rentrer dans les différents statuts) n'étant pas logé à la même enseigne qu'un salarié (sauf portage salarial), il a à sa charge de gérer toutes les facettes liées à la dimension sociale. Nombreux sont ceux qui en parlent, et je laisserai cette dimension de côté dans cet article pour me concentrer surs la dimensions fiscale, autrement dit l'optimisation fiscale.

Bien évidemment, cette optimisation ne pouvant être décorrelée des enjeux sociaux, les suggestions qui suivent sont à confronter au cas particulier de chacun.

De plus, le propos qui va suivre fait l'hypothèse d'une non affiliation à France Travail. C'est un sujet particulier et, n'ayant pas été dans cette situation, je laisse à d'autres mettre en avant les optimisations que je trouve parfois tirées par les cheveux dans les cas où elles ne sont pas en lien avec un véritable projet entrepreneurial.

Disclaimer

A date d'écriture de cet article, je suis gérant majoritaire d'une EURL détenue par une holding patrimoniale, laquelle est également associée mandataire (parmi d'autres associés) d'une SAS.

Cette situation (amenée à évoluer dans le temps) s'est construite dans le temps au gré de faits et rencontres, la dimension fiscale n'en a jamais été la raison première.

Je ne fais en aucun cas de propagande pour la holding, et encore moins pour son usage comme un instrument unique d'optimisation de la fiscalité. Elle ne sera utilisée ici qu'à titre de comparaison sur un seul axe, mais il faut bien avoir à l'esprit que la holding, qu'elle soit active ou passive, a d'autres objectifs dont la gestion d'un groupe d'entreprises, le réinvestissement, ou encore la transmission.

TMI à 30% versus IS

L'avantage d'être à son compte en société, c'est qu'on a la capacité de décider de combien se rémunérer (dans la limite des capacités de l'entreprise, cela va sans dire).

Le moment de se poser des questions avant d'agir

De nombreux paramètres rentrent en jeu, à commencer par le statut de l'entreprise d'un côté, la composition de son foyer fiscal de l'autre. Pour la suite, seules les sociétés à l'IS nous intéresseront sur le cas abordé.

Si on prend le prisme de l'impôt sur le revenu, et qu'on se focalise sur le palier consistant à passer d'un taux de 11% à celui de 30% (taux en place au moment de l'écriture de cet article), cela peut amener quelque réflexions par rapport à l'écart de 19% qui va s'appliquer pour les revenus dépassant le seuil critique (qui était à 28 797 € pour l'impôt sur les revenus 2023).

Je n'explicite pas les modalités de calcul de l'assiette imposable et suppose que le lecteur est capable de déterminer le montant de revenus imposable ramené aux parts fiscales pour savoir s'il rentre ou non dans la tranche à 30%. J'invite également le lecteur à bien comprendre le principe du barème progressif, à savoir que l'entrée dans la tranche à 30% n'a aucune conséquence sur le taux appliqué à l'assiette déjà taxée à 11%.

Imaginons donc pour la suite, en faisant abstraction de tout crédit d'impôt ou réduction d'impôt qui puisse abaisser la note finale, que les revenus du foyer menacent de nous faire rentrer dans la tranche à 30%.

Quelques leviers pour éviter la tranche supérieure

Voici quelques leviers pour ne pas rentrer dans cette tranche :

  1. avoir une demi-part ou part supplémentaire
  2. engager des travaux sur un bien générant des revenus fonciers (à condition d'être ou de basculer au régime foncier au réel)
  3. capitaliser de l'argent sur un PER (plan épargne retraite) éligible à une déduction sur l'assiette de revenus

Le premier nécessite une certaine anticipation et le second (tout comme le premier d'ailleurs) une cohérence avec la réalité. Le troisième levier (tout comme le second dans une autre mesure) affectera dans tous les cas les fonds disponibles au foyer, ce qui peut avoir un impact sur le reste à vivre et autres projets.

En tant que freelance, à part encourager son conjoint (si salarié.e) à prendre des congés sans solde pour baisser sa rémunération (à nouveau, impact sur le reste à vivre), l'axe que nous allons creuser consister à volontairement abaisser sa rémunération pour ne pas rentrer dans la tranche. Nous allons évidemment nous soucier de l'impact sur le reste à vivre puisqu'il faut bien se rémunérer un minimum pour vivre.

Le PER

Sujet à la mode, c'est un levier qu'on peut évaluer bien que certains vont défendre le risque d'une fiscalité moins avantageuse à la sortie. Il n'en demeure moins qu'un PER vient avec un support dont on espère capitaliser un maximum d'intérêts, tout du moins suffisamment pour ne pas se poser la question de la fiscalité en sortie.

Si capitaliser un montant sur un PER ne va pas appauvrir le foyer, cela implique de pouvoir continuer à subvenir à ses besoins (train de vie, endettement).

Si cela vous est possible, vous avez tout intérêt à chercher à réduire votre assiette imposable dans la limite des plafonnements applicables chaque année (je ne rentre pas dans le détail du dispositif, vous trouverez de nombreuses ressources sur le sujet).

Ne pas précipiter la rémunération du freelance

Imaginons que le plafond de versement déductible sur le PER ne permette pas de passer sous le seuil, nous pouvons donc mettre en cause la rémunération du freelance quant à la bascule dans la tranche à 30%.

Se baser sur un prévisionnel ou attendre le bilan est primordial

Vous avez bien fait les choses et attendu l'établissement de votre bilan pour connaître votre capacité de rémunération et vous verser une prime pour l'année écoulée. Si nous appliquons notre levier, c'est à ce moment que nous allons laisser en bénéfice sur la société une somme associée à la rémunération nette qui nous aurait fait basculer dans la tranche à 30%.

Un bénéfice taxable à l'IS

Fonction que vous soyez en SASU ou en EURL, le montant du bénéfice différera étant donné que le modèle de cotisations est différent entre un assimilé salarié et un TNS. Pour la suite il n'est donc pas recommandé de comparer les références x et y entre elles pour apprécier la différence entre SASU et EURL.

Un exemple simple viendra illustrer la comparaison SASU / EURL et il ne doit pas occulter les différences fondamentales à prendre en compte dans le choix entre ces 2 types de société, et notamment la dimension sociale.

Le bénéfice taxable à l'IS (Impôt sur la société) qui sera pris comme référence est le suivant :

  • 1,82x en SASU
  • 1,45y en EURL

où x et y correspondent à la rémunération nette volontairement non versée.

En réalité, passé un certain niveau de cotisations, en EURL le taux peut tomber de 46% à 30% pour les revenus excédentaires, et en SASU de 84,5% à 73,25%. A noter que les pourcentages peuvent encore baisser pour des rémunérations très importantes pour lesquelles certaines cotisations ne s'appliquent plus. Pour des raisons évidentes, mon raisonnement se limite aux taux moyens applicables.

Une fois l'IS déduit, nous arrivons donc à un bénéfice net de :

  • 1,547x en SASU
  • 1,2325y en EURL

Le premier objectif par la suite va être d'évaluer différentes sorties pour voir si on peut être gagnant par rapport à l'évitement de la tranche à 30%, et bien sûr à quelle hauteur.

Option n°1 : versement de dividendes

La fiscalité avantageuse du PFU (flat tax)

Dans le cas de la SASU, il en coûtera l'équivalent de la flat tax, soit 30% (en 2024), et ce seront donc 1,0829x dans la poche du freelance, pour une économie (comparé à l'imposition dans la tranche à 30%) de 0,3829x

Dans le cas de l'EURL, sauf à avoir un capital social important, le freelance pourrait se retrouver avec au minimum 0,48x dans la poche, là où il aurait 0,7x avec une imposition dans la tranche à 30%. En effet, au-delà de 10% du capital social, les dividendes sont considérés comme de la rémunération et subissent donc des cotisations sociales. On retiendra donc qu'il reste pertinent de se verser en dividendes l'équivalent de 10% du capital social, et de conserver le reste pour les options suivantes. L'économie réalisée pour la portion visée dépend évidemment des montants à commencer par celui du capital social.

Option n°2 : intégration à la rémunération année N+1

Imaginons que tout l'excédent soit resté sur le compte de la société en report à nouveau, nous allons pouvoir confronter la situation de l'année N+1 et voir ce qu'il est judicieux de faire.

Si la rémunération ne suffit pas à atteindre le minimum pour rentrer dans la tranche à 30%, cela signifie que vous pouvez piocher dans le report à nouveau pour compléter la rémunération tout en générant un déficit sur N+1.

Pour l'exemple, imaginons que la totalité du report à nouveau ait pu être transformé en rémunération. Cela donnerait 0,85x avant IR en SASU (0,85y en EURL), et donc 0,7565x (0,7565y) après impôt.

Avec cette option, l'économie ne serait donc que de 0,0565x ou 0,0565y. Pas du tout intéressant en SASU mais cela reste une (petite) économie en EURL à l'inverse de l'option 1.

Si la tension autour de la tranche à 30% est présente au moment du bilan, il n'y aura évidemment aucun intérêt à prendre cette option. Le maintien du report peut être décidé faute de mieux (spéciale dédicace à ceux qui envisagent un congé sabbatique), à moins d'une autre option.

Option n°3 : épargner sur un compte titre (SASU)

Si vous n'éprouvez pas le besoin de récupérer l'argent (ce que permettent les dividendes), évaluons l'idée de conserver l'argent dans la société pour le faire fructifier.

Pour faire simple, considérerons que le rendement r aurait été le même que le compte titre soit détenu par vous même ou par la société.

Passé quelques années (le nombre n'est pas important pour la comparaison), un rendement r est donc observé.

  • Dans le cas d'une personne physique, les plus values sont soumises à la flat tax (30% en 2024).
  • Dans le cas d'une société, les plus values sont intégrées au résultat comptable et donc soumises à l'IS (15% jusqu'à 42 500 €, puis 25% au delà)

Je retiendrais le taux d'IS à 15% pour la suite.

Comme vous aurez compris qu'une sortie en dividendes est plus intéressante dans le cas d'une SASU, comparons les deux situations après impôts :

  • 0.7x + 0,49rx en s'étant versé en rémunération dès le départ
  • 1.0829(1+r)x en ayant conservé l'argent sur un compte titre société et reversé le fruit in fine sous forme de dividendes

L'économie réalisée est de 0,3829x + 0,5929rx

Avec un rendement nul, on retrouve logiquement l'économie calculée en option 1.

Imaginons qu'on attende suffisamment d'années pour que le rendement soit de 1 (i.e. on a doublé le capital), l'économie réalisée serait alors de 0.8758x (contre 0,3829x avec l'option 1).

Option n°3bis : épargner sur un compte titre (EURL)

Bien évidemment, avec le même raisonnement en EURL nous serons toujours confrontés au handicap portant sur la façon de sortir l'argent puisque combinée avec l'option 1 dividendes on obtiendrait 0,55825(1+r)y à comparer avec 0.7y + 0,49ry, soit un bénéfice de -0,14175y + 0,06725ry (autant conclure que cela ne deviendra intéressant qu'à partir d'un rendement de 210% !)

Idem, combinée avec l'option 2 (si possible, par exemple en fin de carrière pour compenser une activité plus faible), on obtiendrait 0,71485y(1+r), soit un bénéfice de 0,01485y + 0,22485ry.

C'est évidemment mieux que l'option 2 mais clairement faible par rapport à ce qu'on peut faire en SASU.

Avantage net pour la SASU ?

Vous l'aurez compris, à chiffre d'affaires équivalent (même si on ne peut comparer les montants x et y sans exemple) la SASU bat à plat de couture l'EURL sur l'optimisation recherchée.

Faut-il transformer son EURL ? Évaluons d'abord l'intérêt de détenir l'EURL avec une holding en SAS sous le régime mère fille.

Option n°4 : avoir une holding en SAS(U) au-dessus de son EURL

Le début de la gloire ?

Pour le lecteur qui est arrivé ici directement, je l'invite à relire le disclaimer. Nous supposerons un groupe en régime mère fille (qui fait l'évidence dans le cas d'un freelance) pour les calculs, et je vous renvoie aux ressources disponibles sur les holdings et ce régime en particulier.

Dans cette configuration, les dividendes de l'EURL vont pouvoir remonter à la holding qui, après IS, disposera de 1,2233y

Nous nous retrouvons alors dans des conditions plus favorables à la distribution de dividendes non assimilés à une rémunération pouvant faire l'objet de cotisations sociales.

En reprenant les options 1 et 3 au niveau de la holding, il en ressort :

  • option 1 : 0,85631y, soit 0,15632y de bénéfice
  • option 3 : 0,85631y + 0,72786ry, soit 0,15632y + 0,73786ry de bénéfice

Attention par contre, sauf décalage stratégique des exercices entre les 2 sociétés, le délai pour récupérer des dividendes (option 1) peut être d'1 an comparé à une SASU seule.

Bien évidemment, avec une holding (d'autant plus si elle est passive) et une unique fille, vous serez clairement soupçonné d'abus de droit car cela fait partie des suspicions évidente de montage à but unique d'optimisation fiscale.

L'exemple n'est donc là qu'à titre de comparaison, et n'est d'ailleurs pas réaliste dans le cas d'un holding (qui plus est active) avec plusieurs filles. N'allez pas pour autant vous imposer de créer une seconde fille avec pour seul intérêt d'échapper à l'abus de droit... Si vous êtes dans une démarche solopreneur mono activité, il sera peut-être plus raisonnable de basculer en SASU ou d'accepter de rentrer dans la tranche d'imposition à 30%.

Un exemple pour finir

Je vais prendre un cas concret simple : celui d'un célibataire sans enfants et dont les revenus se limitent à la rémunération donnée en tant que freelance.

Prenons la situations financière suivante :

  • CA de 110 000 € avec 10 000 € de charges déductibles hors rémunération
  • Rémunération directe de 31 998 € pour tomber à une assiette imposable de 28 798 € après la déduction forfaitaire de 10%.
  1. Complément de revenus EURL avec holding en SAS et dividendes en holding
  • 14 399 € de charges sociales
  • 53 603 € de bénéfices soumis à l'IS (15% puis 25%)
  • 6 776 € d'IS sur l'EURL
  • 46 827 € de dividendes remontés en bénéfice holding dont 5% soumis à l'IS à 15%
  • 351 € d'IS sur la holding
  • 33 533 € dans la poche après dividendes taxées à la flat tax
  • à comparer avec 25 878 € après IR si rémunération du reliquat (36 968 €) en EURL
  1. Complément de revenus SASU et dividendes
  • 26 238 € de charges sociales
  • 41 764 € de bénéfices soumis à l'IS à 15%
  • 6 265 € d'IS
  • 35 499 € de dividendes à distribuer
  • 24 850 € dans la poche après taxation des dividendes à la flat tax
  • à comparer avec 16 063 € après IR si rémunération directe du reliquat (22 947 €)

De cet exemple il faut surtout retenir les valeurs de ratio (dividendes nets d'impôts)/(rémunération nette d'impôts) pour la part de chiffre d'affaires qui aurait généré une imposition à 30% :

  • 1,296 en EURL avec Holding
  • 1,547 en SASU

L'optimisation recherchée est donc la plus efficace en SASU et reste intéressante en EURL avec Holding si votre montage ne répond pas à une volonté manifeste d'optimisation fiscale.

C'est volontairement que je ne compare pas EURL avec Holding versus SASU sur l'ensemble de la rémunération, car ce n'est pas l'objectif premier de cet article (encore une fois, n'oubliez pas le volet social).

Conclusion

Il est judicieux de poser le crayon avant d'entrer dans la tranche d'imposition à l'IR à 30% car des optimisations simples existent (il y en a d'autres, non évoquées, que je qualifierai de plus marginales). Néanmoins, d'autres critères peuvent rentrer en ligne de compte et vous inciter à rentrer partiellement dans la tranche. Si cela vous intéresse, ajoutez un commentaire pour m'encourager à en parler, tout du moins vulgariser ce qui est déjà expliqué à divers endroits.

Tout cela n'aurait pu être possible sans la flat tax. Si celle-ci était amenée à disparaître (avant son instauration, les dividendes étaient imposés au barème progressif, après abattement de 40%, option pour laquelle il reste d'ailleurs possible d'opter, ce qui peut être pertinent en cas de faibles revenus du foyer), cet article serait totalement caduque.

Aller au delà

Si le sujet ou les thématiques abordée vous intéresse, que vous pensez que mes chiffres sont erronées, vous pouvez évidemment m'envoyer un message en passant par le formulaire de contact ou LinkedIn.